05 octobre 2008

Lettre ouverte à la femme qui aurait pu partager ma vie à propos d'une pipe de Trever Talbert et d'autres petites choses *


Ma Chérie, mon Amour, ma Vie,

comme tout couple amoureux comme aux premiers jours, nous avons parfois de petites discussions qui, sans dégénérer, perturbent tout de même notre équilibre. Tout cela à cause de mes pipes. Et je m'aperçois, en lisant certains propos de mes camarades, sur le forum (auquel d'ailleurs tu me reproches de consacrer trop de temps), que nous ne sommes pas une exception.

En effet, beaucoup font, en passant, quelques remarques, sur leur femme "qui tient les cordons de la bourse", qui "n'aime pas mon tabac, ou son odeur", qui "râle à cause de tous ces brins de tabac qui traînent dans les draps", de ces pipes "qui encombrent jusque dans la salle de bains". Je ne parle pas de ceux qui, avant de m'acheter une pipe, vont "en parler à leur femme", et qui un peu plus tard, me demandent s'il est possible de payer en plusieurs fois.

Ca n'est pas tout : quand, pris de remords, je me décide à ranger les quelques brins de tabac qui sont si joliment éparpillés sur la table basse, et que j'en profite pour nettoyer quelques pipes, tu protestes parce que je laisse traîner mes chenillettes, que tu ne me laisses pas le temps de jeter. Pire, quand je m'escrime à enlever le culottage en trop, et que forcément une fine poussière noire atterrit doucement sur le tapis, tu marmonnes que c'est encore toi qui va devoir passer l'aspirateur. Tu m'avais même défendu d'acheter un porte-pipe aérien d'Adam Davidson, alors que je prétendais que c'était pour ranger deux pipes. Et, quand je dois aller récupérer quelques unes des pipes achetées d'occasion, que l'on propose aux membres débutants du forum, je suis obligé d'aller à la cave...

Et ça ne serait rien, si tu ne ratais pas une occasion de parler "d'odeur de pneu brûlé" quand je déguste un latakia. Et pourquoi t'obstines-tu à dire que mes pipes sablées ou guillochées te font penser à des abats ? A ce sujet, je reconnais que quand tu as dit que l'une d'entre elle ressemblait à de la cervelle, je n'aurais pas du te répondre : ne parle pas de ce que tu ne connais pas.

Alors oui, Petite Colombe, tu partages ta vie avec un fumeur de pipe. Mais reconnais que tu étais prévenue. Souviens-toi de ta honte lorsque, apportant une de mes vestes au pressing, sous prétexte qu'elle devenait informe (!), la bonne blanchisseuse a sorti trois pipes pleines de cendres de mes poches. Souviens-toi de ma joie à ton retour, il y en avait justement une que je cherchais pour la bourrer (en me relisant, je m'aperçois que cette phrase peut prêter à malentendu, honni soit qui mal y pense).

Je reconnais, ma Joujoune en sucre, que tu as tout de même essayé de t'y mettre - mais le cœur n'y était pas, je sentais bien que ce n'était là qu'une façon de te rapprocher de moi.

Mais toi, pose-toi la question : cherche-je (ça n'est pas français, mais dites-le à haute voix dix fois de suite sans respirer, c'est un bon exercice de diction), est-ce que je cherche à te dégoûter de tes cigarettes roulées ? Te rends-tu compte que si nous allons devoir changer la housse du canapé, il en va plus de ta faute que de la mienne ? M'as-tu vu seulement soupirer quand ce fichu petit filtre, que tu mets pour te donner bonne conscience, se décroche et tombe par terre, que tu t'obstines à le ramasser, et à le remettre dans le droit chemin, si j'ose dire, en te servant pour cela de la pointe de mon bourre-pipe tchèque ?

Tu reconnais toi-même que le chat, notre chat, préfère ronronner sur mes genoux, plutôt que sur les tiens, quand tu fumes ton clope.

Je voulais te parler de tout cela de vive voix, mais il est plus facile de t'écrire. Je note d'ailleurs que quand cette pipe de Trever est arrivée, tu n'as pas émis les sarcasmes habituels. Celle-ci a eu ton accord, elle est, d'après toi, beaucoup plus jolie que les autres. Tu m'as même écouté quand je t'ai parlé de cette sensation de confort que je ressentais, malgré ce bec plus épais que sur mes autres pipes, et pourtant si agréable en bouche. Tu as d'ailleurs été ravie que je préfère y fumer du virginie, ou du virginie/perique. Tu as même pris le temps d'admirer le sablage, et tu t'es étonnée de la différence qu'il y a entre les surfaces droite et gauche du fourneau. Tu as été surprise de sa légèreté. Tu as même approuvé quand je t'ai signalé que Trever se fait aider de sa femme Emily. Tu m'as même, pour la première fois, un peu reproché d'avoir donné une pipe de Trever à une de mes amies qui fume, parfois, la pipe. J'ai senti là une de ces petites pointes de jalousie qui me rassurent quand à l'amour que tu me portes.

Histoire de battre le fer tant qu'il est chaud, j'ai évoqué le prix tout à fait abordable de cette pipe. Tu as répondu que je devrais m'adresser plus souvent à Trever, mais depuis que je le connais, c'est la neuvième que je lui achète, et il faut un peu en laisser aux autres. Je n'ai pas osé te parler de la Goblin qu'un membre du forum a mis en vente récemment, et pour laquelle j'ai craqué. C'est en cachette que je taperai dans un crédit, si c'est encore possible. Je crois d'ailleurs que c'est aussi en cachette que je devrai la fumer, en tout cas en ton absence, quand tu pars chez ta mère. Je ne la montrerai qu'aux amis. Je crois que celle-la, de par son aspect, te laissera sur le flanc.

Pour finir, je voudrais juste te signaler que l'on nous met déjà assez à mal, nous fumeurs, et qu'il n'est pas du tout constructif que nous nous querellions entre nous. Je t'ai parlé de ce couple de malaisiens : au cours d'une visite à la famille, ils ont parlé des problèmes que rencontrait le mari pour arrêter de fumer. Sa femme étant asthmatique, ça n'était évidemment pas une bonne idée. L'un des membres de la famille, qui fait partie d'une secte, a eu la bonne idée de leur proposer un rituel censé les libérer du mal. Il s'agissait de leur taper dessus. Ils en sont morts. Je pense qu'il aurait du continuer à fumer, ils seraient morts plus tard. Mais je ne peux m'empêcher aussi de songer à certains effets néfastes des croisades anti-tabac. Quel malade, quelle femme d'un malade, accepteraient de se faire battre, à moins qu'on ne lui répête sans cesse qu'il fait partie de la lie de la société ? Je voulais t'assurer en tout cas que je préfèrerais cesser de fumer, plutôt que de te faire battre.

Ton petit cachou


*Oui, vous avez remarqué, mes titres sont de plus en plus longs. Bien sur j'aurais pu faire comme avant, me contenter de "une pipe de Trever Talbert" - mais ça aussi on me l'a copié, alors j'essaie autre chose. Je songe d'ailleurs à présenter un billet avec un titre d'une trentaine de ligne, et un texte d'une ligne.

3 commentaires:

David Enrique a dit…

Adorable ! :)

Anonyme a dit…

Guillaume, si tu permettais à tes débiteurs de te payer ce qui t'est dû, tu n'aurais peut-être pas à emprunter ;-)
Il semble quand même que ta chérie soit bien partie pour la partager ta vie, malgré ce long titre plutôt pessimiste de prime abord ?
Je vous souhaite tout le bonheur possible, sans pour autant laisser tomber les belles bruyères ;-)

Jean-Luc

ONE BEAR a dit…

Très beau .
Je découvre à peine ton blog grâce au lien que tu as mis sur le groupe à propos de celui de David et de ses pipes vertes.

Je suis sous le charme, et le classe dans mes favoris.

Merci

Fabrice