23 juin 2010

Une grande cause nationale ? La lutte contre les antidépresseurs



Quand j’étais enfant, ce qui, je le sais bien, commence tout de même à remonter loin, mes parents pouvaient m’envoyer acheter leurs cigarettes au tabac du coin. En effet, la grosse dame pouvait donner des paquets de cigarettes à un enfant, sans pour autant tomber sous le coup de la loi, et se faire verbaliser.
Quand j’étais enfant, les grandes personnes pouvaient boire et fumer à table sans que leurs rejetons, bien dressés par leurs professeurs, ne viennent leur faire la leçon.
Quand j’étais adolescent, la vie était beaucoup plus simple. Pour l’équivalent d’un euro et demi, je pouvais, en période de dèche – je m’entrainais – m’acheter une bouteille d’un très honnête Côtes du Rhône, un camembert coulant à souhait et non pas réfrigéré comme il se doit maintenant, et un gros pain de seigle : avec un euro et demi, je faisais mes deux repas du jour.
Quand j’étais enfant, ou adolescent, il y a une chose que je ne sentais pas sur mes épaules, c’est l’Etat. Il y avait déjà des personnes pour s’occuper de mon éducation, à commencer par mes parents. Devenu une grande personne, passé la majorité, l’Etat a commencé à s’intéresser à moi.
A l’époque, il m’avait simplement promis que passé mes dix-huit ans, j’aurais la chance, comme grande personne, de faire deux choses : aller dans les cinémas X, et voter. Je n’ai fait ni l’un ni l’autre.
Et c’est dommage, quoique pas irréparable, parce que finalement, ces deux chose-là, on me les offrait comme un bonus, un cadeau. C’est qu’à l’époque, on me fichait la paix.
Puis on a commencé à me dire que ma santé intéressait l’Etat. Et j’ai vu le brave ouvrier parisien s’engouffrer dans des voitures de trains de banlieue, où il pouvait fumer, lire son journal, causer avec ses compagnons de voyage.

Depuis, les choses se sont arrangées : les voitures ont été changées. Elles sont belles. On n’y fume plus. L’ouvrier parisien est parti travailler ailleurs. Il ne prend plus ces lignes. Il a été remplacé par des personnes bien habillées, mais très, très fatiguées, et très, très démoralisées. Elles ne se parlent plus. Elles évitent les regards. C’est qu’en plus les voyages ne sont pas de tout repos. On fait de mauvaises rencontres. Et puis, elles ne sont pas sures d’arriver chez elles. Ou elles craignent d’arriver en retard au travail. C’est que le patron, au bout d’un moment, ça le fatigue d’entendre parler de retards des trains, de caillassage des wagons, de grève des contrôleurs ou des conducteurs.

Alors, le voyageur, qui ne peut plus fumer, à qui on répète que boire du vin, c’est pas bien non plus, qui lit toutes ces mauvaises nouvelles, qui prend son train de banlieue la peur au ventre, est allé voir son docteur.

Ca n’est plus son vieux médecin de famille, celui que l’on pouvait appeler en cas de gros pépin même en pleine nuit, et qui se déplaçait tout de suite. Non, il a pris sa retraite. Il a été remplacé par une jeune homme, ou une jeune femme, très propre sur lui, avec plein d’assurance, et qui n’ oublie pas de lui conseiller une radio des poumons, parce que fumer c’est mal. Boire c’est mal. Manger de la charcuterie, c’est mal. C’est mauvais pour sa santé.

Mais malgré tout, le médecin peut l’aider. Il va lui donner plein de petites pilules, qui, comme disait Voltaire, ne sont même pas dorées.

Il va lui donner des pilules pour l’aider à s’endormir.

Il va lui donner des pilules pour continuer à dormir.

Il va lui donner des pilules pour se réveiller.

Des pilules à prendre avant les repas. Au milieu des repas. A la fin du repas.

C’est déjà pas facile de ne pas pouvoir commander cette assiette de charcuterie, avec un petit verre de blanc, et même deux, puis de déguster une bonne cigarette avec son café. Ou un bon cigarillo. Ou une bonne pipe.
Non, comme on prend soin de sa santé, il va commander quelques radis, mais sans beurre.

Voilà qui va le mettre en joie pour toute la journée.

Il va être heureux de prendre soin de lui. Il va être heureux de ne pas manger comme il le voudrait. Il va être heureux de boire une eau minérale qu’il achètera plus cher qu’avant il ne payait son vin. Il va être ravi de finalement ne pas fumer, parce que pour lui c’est bien. De gré ou de force, il sera heureux.

Il se console en se rappelant de ce que lui a dit le docteur, de ce qu’il a entendu à la télé, de ce qu’il a lu dans les superbes revues scientifiques comme Voici, Houpla, Femmes des années X, (qu’il a pu parcourir dans la salle d’attente du médecin) :

Le beurre, il ne faut pas. Nos ancêtres en consommaient, les malheureux. Ils sont morts.

Le tabac, il ne faut pas. Regardez, le dernier poilu de la guerre de 14, fumeur de pipe : il est mort.

Le café, Balzac en buvait sans arrêt, regardez où ça l’a mené : à la tombe.

La charcuterie : ne songe-t-il pas avec horreurs à tous ces vieux paysans qu’on lui a montré à la télé, en les sous-titrant, comme s’il s’agissait de tribus inconnues d’Afrique, avec leur visage couperosé, et leurs mains mal soignées ? Cela surtout l’a marqué : pour lui, il l’a bien vu à la télé, dans les revues, la vie au grand air, c’est au bord de la mer, à côté de la piscine, sous trois couches de protection solaire. Et ça laisse les mains propres.

Mais enfin, tout cela lui laisse tout de même un petit sentiment de malaise … C’est qu’outre ses envies contrariées de café, de tabac, de charcuterie, de vin, d’apéritif, il se méfie maintenant, même quand il est dans la rue. C’est que dans la rue, l’air n’est pas filtré, climatisé. C’est plein de miasmes, tout ça. Et il le voit bien, on lui annonce des épidémies de grippes, on prépare les masques protecteurs, on conseille de ne pas aller dans les endroits où il y a du monde, comme les cinémas, les théâtres. Il n’y a que le métro qu’on lui autorise, parce que les transports en commun, ça, on ne peut pas les arrêter, faut tout de même que la machine continue à tourner.

Il espère un jour pouvoir travailler à domicile. Ne plus avoir à sortir. Rester dans sa bulle, protectrice. Il ne fumera pas. Une loi aura obligé son propriétaire à installer un détecteur de fumée. On pourra savoir s’il fume chez lui. Mais c’est pour son bien. On peut très bien vivre sans sortir de chez soi. Passer ses commandes par internet. Bien sûr, il vient de lire que sa banlieue fait partie des endroits que la grande surface ne livre plus passé midi. Trop dangereux. On peut le livrer, entre six et huit heures du matin, en camionnette banalisée. Mais ça, ça n’est pas si gênant, après tout. Tant qu’il n’a pas à sortir.

Il n’a même plus besoin d’aller au cinéma : il peut se contenter de commander un film qu’il verra directement sur sa télé, sans sortir de chez lui, et risquer d’attraper des maladies. Et même les popcorns qu’il s’offre pour l’occasion, popcorns sans sucre bien évidemment, sont bien plus hygiéniques que ceux vendus dans les salles.

Pas de frais de sortie, la projection lui coûte moins cher. Et les producteurs de cinéma, depuis quelques temps, se sont rendu compte que pour faire rêver, il n’est nul besoin de dépenser des fortunes en tournages lointains et coûteux, de même qu’en trucages splendides. Ce qui fait rêver, maintenant, ce sont les films historiques. Rendez-vous compte : ces époques où on ne connaissait pas les vaccins, où les banquets magnifiques, sangliers rôtis, gibiers, fruits et légumes des paysans, étaient accompagnés de libations, le vin servi du tonneau dans les carafes, sans vérifier le degré d’alcool, sans tester quoi que ce soit. Après ils pouvaient prendre le volant, vu qu’il n’y avait pas de volants, mais des chevaux, qui connaissaient la route. Il faut dire que ces abrutis de seigneurs n’avaient pas encore forcés leurs abrutis d’agriculteurs, vu qu’ils ne connaissaient pas, les imbéciles, les mérites des engrais chimiques, à prendre les mangeurs de légumes au sérieux. On voit même des scènes, mais c’est peut être exagéré, où les seigneurs, après avoir fait la guerre, revenaient arroser ça, écoutaient les baladins chanter la victoire en vers, puis grimpaient leurs femmes. Sans prendre de précautions. On croit rêver.

C’est que notre bonhomme, enfin civilisé, après des siècles de sauvagerie, n’a plus à décider quoi que ce soit par lui-même. L’Etat décide pour lui. Autant vous dire qu’à voir ces films, le dépaysement est assuré. Les producteurs ont vite compris qu’il ne servait à rien de servir du film de SF à tout va : le futur est déjà là. On murmure même que se préparent de nouvelles productions, encore plus fantastiques. Les films se dérouleront dans le Paris des années 50. Le héros rentre dans un bar, enfumé ! Il demande, dans un langage inhabituel, (il dit s’il vous plait), une boisson alcoolisé, alors qu’il a laissé sa voiture garée devant l’entrée ! Il prend des cacahuètes, non stérilisées, dans une coupelle, même pas dans un sachet plastique ! Il laisse tomber la cendre de sa cigarette par terre ! Gros plan sur la balayette de la tenancière du bar, qui, sans même s’enduire les mains d’un désinfectant liquide, s’attelle à la production d’un sandwich jambon-beurre. Elle précise que le jambon – on la voit découper une tranche, on verra un vrai jambon ! est fait par son oncle, retraité, qui a quelques bêtes et vient juste de la livrer. Puis, le client demandera un paquet de « goldo », paquet de cigarettes que cette dame sortira nonchalamment de sous le comptoir, avant de rendre la monnaie et de servir un demi de bière de la même main.

Bon, je vous parle là d’une production qui mise sur le sensationnel. Il n’est pas certains que ces images soient visibles du public sans que cela ne crée de remue-méninges. On craint les réactions apeurées, les cauchemars, tout ce qui pourrait rendre le travailleur moins productif au travail. Peut-être une interdiction aux moins de seize ans ?

Cet homme a donc tout pour être heureux. Il vit par procuration, et frissonne à moindres frais. Simplement, dernièrement, il s’est rendu compte que, arrivant trop tard à la pharmacie, il n’avait pu reprendre sa dose habituelle de pilules. Et voilà que, par désœuvrement, il a lu toutes les petites lignes, en bas des papiers qu’il y a au fond des boites de médicaments. Puis il est allé sur internet, après avoir nettoyé son clavier.

Dépendance : symptômes du sevrage, maladie iatrogénique (provoquée par le médecin), qui peut entraîner un arrêt de travail. Dyskinésie tardive / dystonie, Parkinsonisme, akathisie. L e syndrome sérotoninergique est une condition potentiellement mortelle causée par un excès de sérotoninergiques. La classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) semble être celle ayant le plus de propension à causer une dysfonction sexuelle. les antidépresseurs sont un moyen mais aussi une cause de suicide – et c’est l’akathisie, ce trouble neurologique occulté, qui joue le rôle de facteur déclenchant. Il y a maintenant des preuves que les antidépresseurs du type ISRS(Selective Serotonin Reuptake Inhibitor) comme le Prozac, le Paxil, et le Zoloft causent des dommages au cerveau. EFFETS SECONDAIRES DES ANTIDÉPRESSEURS : Suicide Agitation extrême Hostilité et agression Réactions de sevrage D'autres effets secondaires Défauts de naissance. Certains types d'antidépresseurs peuvent doubler le risque de développer un cancer du sein, selon une étude canadienne.

Voilà. Il a compris. Tout ça n’est que de la poudre aux yeux. On lui a dit qu’on pensait à sa santé. Qu’on voulait absolument qu’il vive vieux – on est si heureux dans les maisons de retraite, quand on peut se les offrir. On lui a surtout dit qu’il risquait d’être dépendant. Et il se rend compte que, grâce à tous ces bons soins, il l’est devenu. Il se rend compte que toutes ces jolies pilules, non seulement l’ont rendu dépendant, mais qu’elles pourraient lui avoir collé certaines maladies. Grâce auxquelles il pourra jouer avec d’autres pilules.

Et il se demande : on m’a parlé de la journée sans tabac, des risques liés à la consommation d’alcool, des risques liés à une mauvaise consommation, avec de la mauvaise nourriture. Pourquoi, pourquoi n’y a-t-il pas de journées sans antidépresseurs ? De Grande Cause Nationale, annoncée, dans un grand moment d’émotion, par le Président de la République ? Pourquoi les pouvoirs publics ne signalent-ils pas plus souvent que la France est la championne toute catégorie de consommations d’antidépresseurs en tous genres ? Pourquoi des médecins, après nous avoir fait la leçon, nous gavent-ils de toutes ces petites pilules, en nous rappelant qu’il faudra revenir pour la prochaine ordonnance ? 
Pourtant, tous, ILS NOUS AIMENT ?

Petit post-scriptum à l'attention des imbéciles, il se reconnaîtront :

Mon dernier billet a recueilli des commentaires assez peu sympathiques. Bien sur, ils étaient anonymes. Et bien sur, ils ne seront pas affichés. Je sais que certains trouvent normale la chienlit qu'on trouve en certains lieux. Qu'ils y restent. On ne les verra pas ici.

L'un d'entre eux m'a écrit notamment ceci : "Je suis tout de même étoné que tu ne dézingue pas Jantet, une pipe Française Oo"

Bien sur, le courageux anonyme annone bêtement des accusations sans fondement, mais ça je l'ai déjà suffisamment démontré. Je peux juste signaler à ce courageux défenseur de la pipe française que ça s'écrit "Jeantet". Tant qu'à se lâcher derrière son écran, en bavant, autant écrire les noms correctement ? Ca commence comme le prénom, Jean, puis tu ajoutes TET. Voilà. C'est simple. Même toi tu peux y arriver ;-)

1 commentaire:

Bruno a dit…

Didier Nourrisson a montré dans son Histoire sociale du tabac (Ed Christian, 1999) le passage du "tabac médecin" au "tabac au ban de la société", avec un passage (qui s'éternise) par le "tabac, feuille d'impôt". Ça continue...
Quant à mon médecin, qui est aussi un ami, je mange parfois chez lui, ou lui chez moi : et nous buvons (pardon : dégustons) de concert. C'est rassurant.
Le tout est de bien choisir son médecin, et ses amis...
Amicalement,
Bruno