Pour une fois je ne vais pas parler de pipe, mais vous raconter deux histoires. Le tout est de ne pas être ennuyeux. Ceux qui ont l'habitude de suivre ce blog connaissent bien mes hauts et mes bas, et je veux croire qu'ils passeront l'éponge et attendront le prochain billet.
Sacha Guitry - je ne vous présente pas Sacha, n'est-ce pas ? - racontait cette histoire, qui m'est revenu souvent à l'esprit ces temps-ci, par la force des choses. Son père Lucien était un comédien mondialement connu, c'est une autre époque, s'exprimer en français c'était franchir les frontières. Voilà donc que Sacha, en pleine répétition de sa prochaine pièce, et la première arrivant, reçoit un mot - pas de mail à l'époque, on s'écrivait, mais le facteur passait plus souvent aussi - lui disant qu'il vient d'être opéré d'un bête furoncle, et qu'il n'est plus question, le soir de la première, de le placer à l'orchestre : il n'a pas envie qu'on le voit avec un ridicule pansement. Il lui demande donc de lui réserver une loge, dans laquelle il pourra voir, sans être vu. Son fils fait donc le nécessaire, le soir de la première arrive, Sacha joue, et cherche à voir son père dans la loge en question. Mais il ne distingue rien. Après le premier acte, on vient lui apporter quelques mots de son père, écrits à la hâte sur un bout de papier, quelque chose comme : magnifique, j'attends la suite avec impatience. Puis, après le deuxième acte, encore un petit mot : bravo, c'est superbe, à tout à l'heure. Puis vient la fin de la pièce, et là on vient chercher Sacha pour lui demander de se rendre au plus vite chez son père. La chose était plus grave qu'il ne semblait. Sacha arrive trop tard, son père est mort, chez lui, pendant la représentation. Mais comme il se sentait passer, et qu'il ne voulait surtout pas gêner la représentation et son fils, il avait préparé à l'avance les petits mots qu'on lui apporterait, durant les entractes qui à l'époque suivaient chaque acte.
J'avais toujours pensé que des personnes étrangères au théâtre pourraient être surprises, voire choquées, de cette histoire.
Voici une autre anecdote, avec les mêmes, qui va appuyer mon propos : alors qu'ils répêtaient une pièce ensemble, Sacha et Lucien s'attardent au restaurant, laissent leurs camarades partir au théâtre avant eux, leur demandant de commencer à répêter sans les attendre. Ils finissent de déjeuner, les rejoignent, mais avant d'entrer dans la salle, Lucien Guitry entrouve une porte, tend l'oreille, et dit à son fils : ils parlent naturellement, c'est donc qu'ils ne répêtent pas...
Voilà deux semaines, un médecin jeune et très gentil nous a reçu, moi et ma mère, dans on bureau, pour nous dire que mon père n'en avait plus que pour quelques jours, voire quelques heures... Situation compliquée par le fait que j'étais obligée, étant en tournée, de laisser ma mère seule. Ma mère heureusement n'est pas restée seule durant mon absence, mais voilà la seconde histoire :
Comme ma mère tremblait à chaque appel téléphonique, je lui avais demandé, avant mon départ, de me laisser un message chque jour pour me donner des nouvelles de mon père. J'avais donc chaque jour un triste résumé de la journée passée. Il y a trois jours, j'arrive à Bastia - pas seul bien sur, mais bien accompagné, puisque j'ai la chance de travailler avec mes plus proches amis. Ma mère me laisse un message pessimiste en fin d'après-midi. Le lendemain, vendredi, j'appelle le frère de mon père, la communication coupe, mais à mon appel suivant, c'est ma tante qui décroche : j'ai en effet l'occasion de voir, à Bastia, une cousine de mon père et son mari. Je demande donc leur numéro de téléphone, les contacte, et prend rendez-vous avec eux, samedi avant la représentation. Je suis content de les voir, puisqu'à ma dernière tournée, j'avais eu l'occasion de passer à l'ile dela Réunion, où ils vivent, mais malheureusement nous nous étions râté.
Nous nous retrouvons, je donne à la famille les dernières nouvelles, pas brillantes. Eux sont des spectateurs fins et avertis, me posent des questions sur mon métier, c'est plaisant, intelligent. La représentation se passe bien, et nous nous quittons en espérant nous revoir plus longuement la prochaine fois. Pour rappel, nous sommes samedi soir.
Le lendemain, nous rentrons à Paris, ma mère me laisse un message inquiétant, je la rappelle sitôt l'avion posé, et j'apprends que mon père est mort deux jours plus tôt, vendredi soir. Ma mère n'a pas voulu que je l'apprenne, sachant que je jouais samedi, et que je ne pourrai rien faire avant de rentrer.
Je pensais que ce réflexe, auquel je faisais allusion au début, de ne rien dire pour ne pas gâcher une représentation, seul quelqu'un du métier pourrait l'avoir. Je trouve cela admirable, pour quelqu'un "de la partie", mais bien plus encore chez quelqu'un à qui tout cela est étranger. Et puis, bien sur en y repensant maintenant, je vois quelques fausses notes, mais vraiment, toutes ces personnes à qui j'ai parlé, que j'ai vu, qui savaient et qui me l'ont caché... et bien voilà de quoi alimenter les interrogations, et la modestie. Berné, le "professionnel", et dans les grandes largeurs !
Voilà, les membres du groupe qui suivent ces lignes comprendront mon silence. J'avais annoncé d'ailleurs que je ne serais pas disponible durant quelques temps, mais c'était avant que cela arrive, et j'ai eu l'impression que beaucoup n'osaient plus intervenir à cause de cela. Inutile donc d'en rajouter, moi qui me plaint toujours quand c'est trop calme. Je ne sais si je prendrai le temps d'intervenir demain, et je repars mardi jusqu'à la fin de semaine. Voilà qui expliquera aussi ma discrétion ici ces temps-ci.
Sacha Guitry - je ne vous présente pas Sacha, n'est-ce pas ? - racontait cette histoire, qui m'est revenu souvent à l'esprit ces temps-ci, par la force des choses. Son père Lucien était un comédien mondialement connu, c'est une autre époque, s'exprimer en français c'était franchir les frontières. Voilà donc que Sacha, en pleine répétition de sa prochaine pièce, et la première arrivant, reçoit un mot - pas de mail à l'époque, on s'écrivait, mais le facteur passait plus souvent aussi - lui disant qu'il vient d'être opéré d'un bête furoncle, et qu'il n'est plus question, le soir de la première, de le placer à l'orchestre : il n'a pas envie qu'on le voit avec un ridicule pansement. Il lui demande donc de lui réserver une loge, dans laquelle il pourra voir, sans être vu. Son fils fait donc le nécessaire, le soir de la première arrive, Sacha joue, et cherche à voir son père dans la loge en question. Mais il ne distingue rien. Après le premier acte, on vient lui apporter quelques mots de son père, écrits à la hâte sur un bout de papier, quelque chose comme : magnifique, j'attends la suite avec impatience. Puis, après le deuxième acte, encore un petit mot : bravo, c'est superbe, à tout à l'heure. Puis vient la fin de la pièce, et là on vient chercher Sacha pour lui demander de se rendre au plus vite chez son père. La chose était plus grave qu'il ne semblait. Sacha arrive trop tard, son père est mort, chez lui, pendant la représentation. Mais comme il se sentait passer, et qu'il ne voulait surtout pas gêner la représentation et son fils, il avait préparé à l'avance les petits mots qu'on lui apporterait, durant les entractes qui à l'époque suivaient chaque acte.
J'avais toujours pensé que des personnes étrangères au théâtre pourraient être surprises, voire choquées, de cette histoire.
Voici une autre anecdote, avec les mêmes, qui va appuyer mon propos : alors qu'ils répêtaient une pièce ensemble, Sacha et Lucien s'attardent au restaurant, laissent leurs camarades partir au théâtre avant eux, leur demandant de commencer à répêter sans les attendre. Ils finissent de déjeuner, les rejoignent, mais avant d'entrer dans la salle, Lucien Guitry entrouve une porte, tend l'oreille, et dit à son fils : ils parlent naturellement, c'est donc qu'ils ne répêtent pas...
Voilà deux semaines, un médecin jeune et très gentil nous a reçu, moi et ma mère, dans on bureau, pour nous dire que mon père n'en avait plus que pour quelques jours, voire quelques heures... Situation compliquée par le fait que j'étais obligée, étant en tournée, de laisser ma mère seule. Ma mère heureusement n'est pas restée seule durant mon absence, mais voilà la seconde histoire :
Comme ma mère tremblait à chaque appel téléphonique, je lui avais demandé, avant mon départ, de me laisser un message chque jour pour me donner des nouvelles de mon père. J'avais donc chaque jour un triste résumé de la journée passée. Il y a trois jours, j'arrive à Bastia - pas seul bien sur, mais bien accompagné, puisque j'ai la chance de travailler avec mes plus proches amis. Ma mère me laisse un message pessimiste en fin d'après-midi. Le lendemain, vendredi, j'appelle le frère de mon père, la communication coupe, mais à mon appel suivant, c'est ma tante qui décroche : j'ai en effet l'occasion de voir, à Bastia, une cousine de mon père et son mari. Je demande donc leur numéro de téléphone, les contacte, et prend rendez-vous avec eux, samedi avant la représentation. Je suis content de les voir, puisqu'à ma dernière tournée, j'avais eu l'occasion de passer à l'ile dela Réunion, où ils vivent, mais malheureusement nous nous étions râté.
Nous nous retrouvons, je donne à la famille les dernières nouvelles, pas brillantes. Eux sont des spectateurs fins et avertis, me posent des questions sur mon métier, c'est plaisant, intelligent. La représentation se passe bien, et nous nous quittons en espérant nous revoir plus longuement la prochaine fois. Pour rappel, nous sommes samedi soir.
Le lendemain, nous rentrons à Paris, ma mère me laisse un message inquiétant, je la rappelle sitôt l'avion posé, et j'apprends que mon père est mort deux jours plus tôt, vendredi soir. Ma mère n'a pas voulu que je l'apprenne, sachant que je jouais samedi, et que je ne pourrai rien faire avant de rentrer.
Je pensais que ce réflexe, auquel je faisais allusion au début, de ne rien dire pour ne pas gâcher une représentation, seul quelqu'un du métier pourrait l'avoir. Je trouve cela admirable, pour quelqu'un "de la partie", mais bien plus encore chez quelqu'un à qui tout cela est étranger. Et puis, bien sur en y repensant maintenant, je vois quelques fausses notes, mais vraiment, toutes ces personnes à qui j'ai parlé, que j'ai vu, qui savaient et qui me l'ont caché... et bien voilà de quoi alimenter les interrogations, et la modestie. Berné, le "professionnel", et dans les grandes largeurs !
Voilà, les membres du groupe qui suivent ces lignes comprendront mon silence. J'avais annoncé d'ailleurs que je ne serais pas disponible durant quelques temps, mais c'était avant que cela arrive, et j'ai eu l'impression que beaucoup n'osaient plus intervenir à cause de cela. Inutile donc d'en rajouter, moi qui me plaint toujours quand c'est trop calme. Je ne sais si je prendrai le temps d'intervenir demain, et je repars mardi jusqu'à la fin de semaine. Voilà qui expliquera aussi ma discrétion ici ces temps-ci.
2 commentaires:
Bon courage, Guillaume. Nous pensons fort à toi et ta famille. Ton témoignage est touchant et loin d'être ennuyeux. C'est une chance d'être aussi bien entouré.
Amicalement
David
On dit que c'est dans l'adversité que l'on reconnaît ses amis. On dit aussi que l'on choisit ses amis mais pas sa famille.
Je crois que dans ton malheur tu as la chance d'être soutenu par de vrais amis et une famille qui n'en n'a pas que le nom.
Merci d'avoir partagé ces instants avec nous.
Jean-Luc
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